Kisenosato, 1er yokozuna japonais depuis 1998

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Avec le sumotori Kisenosato, l'honneur du Japon reprend du poids de la bête.

Premier nippon à accéder au grade le plus élevé dans son sport depuis 1998, il ripoline l'image d'une discipline touchée par les scandales et délaissée par les jeunes générations.

 

 

Les larmes n'étaient pas de trop. Kisenosato – de son vrai nom Yutaka Hagiwara – n'a pas pu les retenir lors de la dernière journée du grand tournoi de sumo de Tokyo, le 22 janvier. Ce jour-là, ce rikishi («lutteur») confirmé accomplissait un exploit en s'emparant pour la première fois de la Coupe de l'empereur et en battant le Mongol Hakuho. A 30 ans, 1,87 m et 175 kilos, le rikishi japonais rejoignait l'élite et se préparait à être promu au rang suprême de yokozuna, le grade le plus élevé qu'un lutteur conserve à vie. La consécration est intervenue trois jours plus tard. Elle n'est pas qu'une simple récompense pour un athlète qui a passé ces quinze dernières années à se sacrifier. Et le Japon, qui doute de son avenir et de son rang dans une Asie en proie à l'hégémonie chinoise, ne pouvait qu'applaudir des deux mains la promotion d'un de ses enfants. Car depuis 1998, jamais un Japonais n'avait décroché ce titre.

Le grade de yokozuna décerné à Kisenosato a été célébré comme un rare moment de fierté nationale dans ce pays où le sumo est au cœur de la tradition. Il convoque le sacré et draine les foules, et pas seulement lors des six tournois annuels retransmis sur les chaînes de télévision. Près de 20 000 personnes sont venues assister vendredi au couronnement de leur champion au temple Meiji, à Tokyo.

Le dernier yokozuna nippon avait pris sa retraite en 2003. Seuls des lutteurs mongols étaient détenteurs du titre, ce qui ne manquait pas de titiller l'orgueil des Japonais. «Il y a une dizaine d'années, les rikishi étrangers étaient victimes de commentaires négatifs, mais les Japonais se sont finalement montrés tolérants quand ils ont vu que les Mongols apprenaient le japonais, excellaient dans le sumo et se fondaient dans la culture du pays, note Chris Gould, auteur de Sumo's Strongest Men. En renouant avec le titre suprême, le Japon vit donc ce moment comme un soulagement plus qu'une vraie joie intense.»

 

 

Kisenosato a rejoint au rang de yokozuna trois autres lutteurs, tous Mongols. «Il ne faut pas oublier que ce sont les rikishi étrangers qui ont maintenu le "sport national" japonais à flot au moment où il traversait une série de scandales terribles» et connu une désaffection du public comme le rappelait mercredi le quotidien Mainichi Shimbun dans un éditorial enjoué. Dans les années 2000, le monde du sumo a souvent concouru dans la catégorie faits divers et scandales : trafic de stupéfiants, combats truqués, blessures simulées, liens avec la pègre, bizutage... Le décès d'un jeune Japonais, battu à mort en 2007, avait sonné le pays.

Le sumo a besoin d'ambassadeur nippon. Pratiqué depuis mille cinq cents ans, ce sport emblème qui fait partie de l'ADN de l'archipel a parfois été élevé au rang de cérémonie shintoïste, la religion nationale. Avec ses rites, la discipline unique empruntant aux arts martiaux et dramatiques renvoie à la création du pays et convoque le bushido, le code des principes moraux des samouraïs. «De nos jours, les sumotoris sont vénérés comme des personnages quasi sacrés», remarque le géographe Philippe Pelletier dans la Fascination du Japon (Le Cavalier bleu). Né à Ushiku dans la préfecture d'Ibaraki, Kisenosato se retrouve dorénavant investi d'un rôle : «Nous aimerions bien le voir se consacrer davantage au sport et porter le monde du sumo sur ses larges épaules», l'enjoignait le Mainichi Shimbun, mercredi.

Lourde mission car, au-delà des scandales, le sumo apparaît souvent comme un sport archaïque. Ainsi, il ne suscite guère les vocations. «Il y a encore vingt ans, les écuries recrutaient 200 à 250 lutteurs par an. Aujourd'hui, elles enrôlent autour de 70 candidats, pas plus», note l'expert Chris Gould. Cette crise des vocations est le signe d'un pays qui se globalise, s'ouvre. Longtemps, le sumo faisait recette et se disputait les petits écrans avec le base-ball seulement. Puis la Coupe du monde de foot en 2002, organisée dans l'archipel et en Corée, a suscité un engouement chez les jeunes. Ces dernières années, le tennis puis le rugby ont également fait émerger des athlètes et mis en scène des réussites. «Comment, aux yeux d'un jeune Japonais, le sumo peut-il être attractif face à un joueur de foot à la coupe tape-à-l'œil, au look cool et au salaire alléchant ? Un yokozuna touche environ 190 000 euros par an. Ce n'est rien comparé à une vedette de base-ball ou un joueur de la Premier League», poursuit Chris Gould.

La vie d'un sumotori est faite de solitude et de servitude, a fortiori quand il intègre une écurie. L'apprenti doit non seulement prendre des coups, se gaver pour s'alourdir et nettoyer, cuisiner, faire les courses pour les plus anciens, comme l'avait filmé avec justesse et finesse en 2013 la documentariste Jill Coulon dans Tu seras sumo. Dans ce film tourné à Tokyo, on suivait les premiers pas d'un ado de Hokkaido. A la fin, il jetait l'éponge, quittait l'écurie et le monde clos d'un Japon traditionnel en voie de lente extinction.

 

Source : Libération