Hiroshima : 70 ans après

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Hiroshima a célébré ce jeudi matin, le 6 août 2015, le 70e anniversaire du premier bombardement atomique de l'histoire, qui devait être suivi, trois jours plus tard, du second bombardement nucléaire, à Nagasaki. Dans ces deux villes, des centaines de milliers de personnes sont mortes lors des explosions et dans les semaines qui ont suivi. La cérémonie était, comme à l'accoutumée, assez discrète, alors qu'au fil des années, la mémoire de l'horreur s'estompe.

 

 

Hiroshima, 70 ans après jour pour jour. Une minute de silence pour commémorer la déflagration qui a fait entrer l'humanité dans l'âge nucléaire. Dans le parc de la Paix, à l'épicentre de l'explosion, le maire d'Hiroshima Kazumi Matsui dénonce l'horreur de l'arme la plus terrible que l'homme ait inventée. Un rappel nécessaire, car peu à peu les témoins disparaissent, explique notre correspondant au Japon, Frédéric Charles. En 2005, ils etaient encore 240 000. Cette année : 180 000.

La moyenne d'âge des hibakusha, nom que l'on a donné aux survivants des bombardements atomiques, est désormais de 80 ans. Lorsqu'ils ont subi le feu atomique, ils étaient des enfants. La plupart d'entre eux se sont emmurés dans le silence. Seule une petite minorité, toujours les mêmes, veut parler. Ils racontent le souffle de l'explosion, les survivants écorchés vifs, les chairs en lambeaux, puis au fil des mois et des années, les hémorragies internes, les pertes de cheveux, les cancers, les leucémies. La mort à petit feu pour les uns, les microcéphalies pour les autres, enfants irradiés in utero.

La tentation de faire un lien entre Hiroshima et Fukushima

Jusqu'en 1952, les Américains ont censuré les informations sur le sort des victimes. Ils ont ouvert un laboratoire pour tester sur les survivants les effets des radiations, mais pas pour les soigner.

Les victimes n'ont bénéficié d'aucune assistance spéciale du gouvernement jusqu'en 1957 et ont été discriminées par les Japonais bien portants, qui craignaient que l'irradiation ne soit contagieuse. Et aujourd'hui, ces mêmes survivants luttent désormais contre l'oubli. Si leurs souffrances doivent servir pour les générations futures, selon un sondage, 80 % des Japonais ignorent la date précise du bombardement d'Hiroshima.

Dans la ville elle-même, les survivants ne sont pas forcément les bienvenus dans les écoles. Leur histoire mille fois répétée lasse les élèves. Et les professeurs n'apprécient pas lorsque les survivants tentent d'établir un lien entre Hiroshima et Fukushima. Certains hibakusha sont sous l'influence de mouvements anti-nucléaires opposés au redémarrage des centrales du pays. Et les écoles d'Hiroshima ne veulent pas se prêter à ce qu'elles peuvent, le cas échéant, considérer comme une manipulation. Par voie de conséquence, les petits Japonais d'aujourd'hui ignorent ainsi tout ou presque des bombardements atomiques de 1945.

Le Japon se dotera-t-il un jour de la bombe ?

 

 

Hiroshima doit donc renouveler son message, pour qu'il soit entendu de ceux qui n'ont pas connu la guerre, dans un monde qui n'a pas renoncé aux armes nucléaires. Le Japon s'estime victime des bombardements atomiques. Mais les cités d'Hiroshima et de Nagasaki ne furent-elles pas aussi des victimes du fanatisme des dirigeants du Japon militariste de l'époque ? Certains jeunes Japonais le pensent, et considèrent qu'il faut aller au-delà du traditionnel « plus jamais Hiroshima » ressassé sans cesse.

La bombe était-elle le seul moyen de mettre fin à la guerre du Pacifique ? Hiroko Moriwaki, une bibliothécaire, s'interroge : « Je ne suis allée qu'une seule fois à Hiroshima durant mon adolescence. Aujourd'hui, si l'on veut transmettre aux générations futures le souvenir des souffrances des atomisés, je pense qu'il est important de connaitre l'origine de la guerre. Pourquoi Hiroshima ? » Après la guerre, les mouvements pacifistes utilisèrent Hiroshima pour leur propagande anti-américaine. Et les conservateurs japonais au pouvoir s'en servirent comme d'une sorte de martyre expiatoire, pour faire oublier la guerre d'agression japonaise en Asie.

Mais de nos jours, Hiroshima est désormais une ville moderne, de plus d'un million d'habitants. Et entretemps, le monde a connu d'autres massacre de populations civiles. Alors, selon Koichi Ishiyama, un auteur de dictionnaires, il est désormais plus important de se tourner vers l'avenir. « Je suis né en 1947, je suis un de ces " baby-boomers ". Je pense qu'aujourd'hui, le Japon ne doit plus dépendre des Etats-Unis pour sa sécurité, et doit se construire une nouvelle identité autour de son pacifisme, en redonnant à son economie toute sa vitalité pour en faire un moteur de la croissance mondiale », analyse-t-il.

Le malaise des présidents américains

Quel est le sens du martyre nucléaire, 70 ans plus tard ? Nous aider à humaniser le présent, répondrait l'écrivain japonais Kenzaburo Oe, prix Nobel de litérature ; faire de la dignité de l'homme le noyau dur de nos consciences. Car le Japon, aujourd'hui encore, ne milite pas en faveur du désarmement nucléaire. En la matière, il est même timide, précisément parce que sa sécurité dépend du parapluie nucléaire américain, dont il s'est toujours accommodé.

Le Premier ministre Shinzo Abe a fait voter des lois de sécurité en contradiction avec la Constitution pacifiste nippone. Il souhaite que l'armée puisse jouer un rôle militaire plus important à l'extérieur. Il veut aussi réactiver les réacteurs nucléaires, à l'arrêt depuis Fukushima, et maintenir une capacité nucléaire pour être prêt, le cas échéant, à se doter lui-même de l'arme atomique.

Le souvenir d'Hiroshima s'est-il donc déjà estompé de la mémoire de Shinzo Abe ? Le chef du gouvernement japonais a pourtant appelé le monde, ce jeudi matin lors de la cérémonie d'Hiroshima, à mettre fin à l'usage de l'arme atomique, de façon « pratique et graduelle », dit-il. Des mots prononcés devant la sous-secrétaire américaine chargée du contrôle des armements nucléaires, Rose Gottemoeller, qui assistait à la cérémonie. C'était une première, car à l'heure d'aujourd'hui, aucun président des Etats-Unis n'a encore fait le voyage d'Hiroshima. Pas même Barack Obama, qui plaidait activement, au début de son règne, pour le désarmement nucléaire.

 

Source : RFI